Un patrimoine matériel et immatériel particulier

Outre les activités agricoles, Chauffaille a connu une autre prospérité économique dans le passé : celle de la forge.
         C'est Texier-Olivier, préfet d'empire, qui nous donne le plus de renseignements sur la forge de Chauffaille, dans sa Statistique du Département de la Haute-Vienne, publiée en 1808 :

         « La forge de Chauffaille est une des plus remarquables du département par le résultat de ses travaux, et par le mérite de ses produits. On ne sait à quelle date remonte l'origine de cet établissement [sans doute le milieu du XVIIe siècle] ; il a toujours été possédé par la même famille [les du Burguet de Chauffaille puis, par mariage, au XIXe siècle, les de Chérade de Montbron], et n'a pris un certain degré d'importance que depuis 1763, époque à laquelle l'aïeul de l'actuel propriétaire, devient acquéreur des forêts de Château-Chervix [Fayat] ; cette forge est composée d'un haut-fourneau et de deux affineries à fer doux.
         Le haut-fourneau est en feu pendant trois mois de l'année ; ses produits sont de 150 tonnes de fonte en gueuse ; il consomme 335 tonnes de mine, 183 tonnes de charbon [de bois], et 84 tonnes de castine ["pierre à chaux", pierre calcaire que l'on utilise pour favoriser la fusion du minerai]. On tire la mine du département de la Dordogne à une distance de 25 kms environ [région d'Excideuil] ; elle donne 45 pour cent [de rendement]. On se procure aussi du dehors la castine et les pierres réfractaires qu'exige la construction du creuset. Les bois ciconvoisins fournissent le charbon nécessaire au fondage. (...) La fonderie occupe un maître fondeur, deux gardes, deux chargeurs, un arqueur et un boqueur. (...) Les fontes en gueuse, que produit le haut-fourneau de Chauffaille, sont toutes consommées par les deux affineries situées au même lieu.
         Chaque affinerie emploie un marteleur en chef, un forgeron et un petit valet. Ces divers ouvriers sont nourris et logés par le maître de forge. Il faut 135 tonnes de charbon pour alimenter les deux affineries, dont la fabrication totale est de 90 tonnes de fer battu. Son principal débouché est la ville de Tulle. »

         Un peu plus loin, dans ses « observations générales sur les forges », il nous dit :
         « Les fers qui se fabriquent sont à la fois doux et nerveux ; les usines de fil de fer n'en connaissent pas de meilleur, et leur donnent la préférence. Les maréchaux de Paris et des principales villes de France ont longtemps regardé le fer du Limousin comme le plus convenable pour ferrer les chevaux. (...) L'expérience a prouvé que les aciers de la Haute-Vienne, corroyés et manipulés avec soin, peuvent le disputer à ceux de l'Allemagne... »

         Citons aussi Aimé Perpillou dans sa Cartographie du paysage rural limousin, parue en 1940 : « Ces forges fournissaient un excellent fer ; la moitié environ était utilisée pour les besoins de l'agriculture locale ; le reste était exporté vers Rochefort et La Rochelle, vers Tulle et Limoges, où existaient des ateliers de métallurgie différenciée. C'était dans la vallée du Taurion des fabriques de fil de fer, sur la Gorre et la Vayres des coutelleries, des fabriques de faux et de faucilles ; on reconnaissait, à tort ou à raison, la supériorité des fers limousins sur ceux du Jura, et on l'attribuait à l'emploi, pour l'affinage, du charbon de bois de châtaignier. »
         Les traités de libre échange de 1860 avec l'Angleterre et la concurrence du fer et du charbon (de terre) lorrains sonnèrent le glas de cette industrie.
         Si ces forges, à leur grande époque, employaient peu de monde sur place (13 personnes à Chauffaille), il faut penser aux charbonniers dans la forêt, aux muletiers menant à la forge minerai, castine et charbon de bois, aux bouviers livrant le fer brut aux lieux de transformation. Ajoutons, pour être complet, que l'on trouvait, par le pays, dans les champs, des nodules de fer ; les paysans les ramassaient dans des paniers et les portaient à la forge. Leur participation, fût-elle symbolique, en était une. Et le souvenir s'en est gardé.
        
         Ensuite, les activités agricoles ont prévalu à Chauffaille ; puis le domaine de Chauffaille, beaucoup plus vaste que l'actuel, a été acquis par la SAFER en 1970, et celle-ci, après de bien étranges tractations et rebondissements, en a vendu la plus grande part à l'Etat, en 1974, pour un usage militaire. Le patrimoine bâti en a souffert, plusieurs bâtiments ayant été détruits pour les usages de l'armée.

Brève visite du domaine de Chauffaille, proposée en ligne par la communauté de communes du Pays de St-Yrieix en 2013.