Analyse de Germaine Auzeméry-Clouteau, attachée de conservation de patrimoine à Bayonne, après avoir travaillé à la ville de Rennes et celle de Limoges, et originaire de Saint-Yrieix-la-Perche :
« Le projet de parc d’attraction Mélofolia à Coussac-Bonneval (87) est présenté par le porteur de projet à travers deux supports :
Par ailleurs, la page internet https://www.cathobel.be/2014/12/piano-plage-sous-les-grisailles-la-plage permet de situer le contexte du projet. Enfin, la bande dessinée à laquelle il est fait référence est disponible à la consultation auprès de l’association Chauffaille autrement.
Au-delà de son imagerie bon enfant et derrière son discours lénifiant, le projet demande à être analysé dans sa forme et dans son fond.
Le projet de parc d’attraction Mélofolia (nommé « Les géants de la musique » dans les documents les plus anciens) développe un discours de bienveillance et affiche un univers fait de bons sentiments. Les termes « écoute », « respect », « partage » et « intergénérationnel » émaillent le propos. Il est même question de viser « l’harmonie entre les Êtres, la Nature et la Musique ». Le grand Rousseau lui-même semble avoir inspiré le projet… À moins qu’il ne s’agisse d’un recyclage à bon compte de la pensée New Age.
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Tant que le projet n’explicite pas très concrètement la mise en œuvre de ces nobles notions, nous ne voyons que des mots-clés destinés à anesthésier le jugement critique des décideurs.
Parallèlement à ce discours pseudo-humaniste, le projet est présenté comme s’inscrivant dans une histoire. Il est scénarisé. Et ce n’est pas un hasard. Le jargon de la communication marketing appelle cela le storytelling, stratégie bien connue pour embarquer l’imaginaire du client. Et qui plus est lorsque cette histoire est une autofiction : Monsieur Hodiamont himself a eu une vision. Il a entraperçu un monde auquel nous n’avons pas accès. Et nous avons une chance inestimable : par philanthropie, il va nous faire partager cette vision en donnant corps à son rêve.
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Avec ce scénario, le tour est joué, le sujet déplacé. La question n’est pas du tout que la société privée Dreamgest veuille faire un business dans une ZNIEFF mais bien que Monsieur Hodiamont, personne par ailleurs semble-t-il tout à fait affable et généreuse, souhaite nous faire communier à son rêve.
Bon, soyons fairplay et décidons pour un temps d’adhérer à ce storytelling. Soit. Lançons-nous dans la vision et ouvrons la bande dessinée qui nous la conte. Ciel !... Malgré nos efforts et ceux du dessinateur, le vide narratif est sidérant, la fiction fait pschitt. Voici Alice blasée et le Lapin blanc désœuvré… N’est pas Lewis Carroll qui veut ! Et la puissance d’une fiction ne se réduit pas à une image ni à la taille d’un piano.
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Aussi géant soit-il, ce piano sorti des eaux est une toute petite idée. Cette image n’a pas le pouvoir de nous faire passer de l’autre côté du miroir. Aucun monde n’est inventé qui pourrait être support d’une attraction. Quant aux personnages Mélo, Folia et Rythmix, ils sont sans consistance, leur graphisme insipide semble une pâle copie de l'univers BD et des grands parcs d'attraction.
Posons-nous la question : comment le public pourrait-il se déplacer en masse ? Et, quand bien même il serait au rendez-vous, comment pourrait-il avoir envie de revenir ou de recommander la visite ?
Le parc Mélofolia entend faire vivre une « expérience » et ressentir « des émotions ». C’est là encore un lieu commun, une terminologie devenue incontournable et politiquement correcte dans le monde de la culture et du tourisme, notamment dans celui des parcs d'attraction nouvelle génération. Eh oui, qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit plus du tout de venir consommer du loisir, non, absolument pas. Nous avons dépassé cette époque ! Il s’agit « de proposer une expérience », de « partager des émotions ». Revoilà cette belle rhétorique marketing aux allures humanistes. La société Dreamgest a certainement dû lire le récent rapport publié par l’agence consultante Atout France « Des parcs aux sites de loisirs ». Mais d’ailleurs, l’a-t-elle assez médité ? Car on y explique que désormais, le public recherche de véritables expériences plus que des distractions gadget… Et que nous promet Mélofolia sur ce point ? De déambuler dans et autour de structures évoquant des instruments géants, d’écouter du son, de regarder des vidéos, de faire joujou avec des trottinettes électriques, de voir des mises en lumière, d’activer des supports numériques et enfin de manger dans un snack.
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Le menu attractif semble bien maigre. Il s'agit à nos yeux d'une pseudo-expérience vécue dans un environnement de clichés et fondée sur l'emploi de technologies qui seront bien vite dépassées et qui n’éblouiront pas les plus jeunes, eux qui, quoi qu’il en soit, auront toujours un temps numérique d’avance.
Quant à la « communion avec la Nature », expérience existentielle s’il en est, on en déduit qu’elle réside dans l’accrobranche et dans la possibilité de stationner son véhicule à l’ombre de vrais arbres…
Seul l'univers de la musique savante et un peu celui du rock sont évoqués. Et encore, de manière tout à fait superficielle. Où sont les musiques populaires, les musiques urbaines contemporaines, les musiques traditionnelles du monde, la musique expérimentale, etc... ? Violon, piano, harpe, batterie : voici pour les instruments.
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Où est la diversité, l’ouverture au monde, la soi-disant pédagogie ?
L'approche de la musique proposée dans le projet reconduit des clichés pas même dignes d’un quiz niveau 1. Les instruments de musique géants ne sont pas des instruments de musique géants, ce sont des structures qui n’en ont que l’apparence extérieure. Donc il n’y a pas d’exploration, d’expérimentation, rien de bien spectaculaire non plus, seulement des images.
Le volet social du développement durable mentionne le nécessaire ancrage local de tout projet.
Qu’en est-il dans le projet de Monsieur Hodiamont ? Où donc est le lien avec la réalité culturelle et notamment musicale du territoire ? Ce n’est pas la présence anecdotique d’un restaurant « produits du terroir » ou encore les parements en pierres de Saint-Yrieix qui maquilleront cette indigence culturelle.
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Le parc Mélofolia procède d’un modèle de divertissement consumériste de masse standard, de nulle part et de partout à la fois.
Il est en décalage complet avec un tourisme vert et culturel dont les schémas directeurs de développement régionaux et départementaux font étalage.
Il est grand temps que notre région sache tirer parti de ses richesses : une ruralité toujours vivante, un environnement relativement préservé, des paysages divers, bref : un lieu où l’authenticité a encore un sens, modèle alternatif qui devient de plus en plus précieux dans un monde de plus en plus anonyme, uniforme et surconnecté.
Le Limousin et notre Pays de Saint-Yrieix ont-ils à gagner de l’atterrissage d’une soucoupe volante déjà ringarde ? N’ont-ils pas l’imagination, la jeunesse d’esprit et la sagesse d’être bien plus innovants que cela ? Ne pourrait-on se payer le luxe d’avoir, pour une fois, une longueur d’avance au lieu de courir après la soi-disant modernité ?