L'accord superficiel des élus

Sur le projet de la SA Dreamgest, porté par M. Didier Hodiamont, les élus du Conseil de Communauté (l'instance de décision intercommunale) sont unanimes dans un premier temps, si l'on s'en tient aux comptes-rendus des réunions. Ces comptes-rendus sont en ligne sur le site officiel de la Communauté de Communes. C'est à l'unanimité que les trois premières délibérations sont votées : celle du 12 octobre 2015, celle du 3 décembre 2015 et celle du 11 avril 2019. Cette unanimité est un consensus de façade, basé sur de bonnes intentions mais pas sur un examen détaillé du projet ni même une connaissance précise des tenants et aboutissants.

En fait, le consensus se résume ainsi : « ça fera des emplois et M. Hodiamont est quelqu'un de bien ». C'est tout. Ça ne va pas plus loin. En conséquence, les opposants au projet passent pour des partisans du chômage et des pessimistes suspicieux. Toute réserve contre le projet Mélofolia est tuée dans l'oeuf. Pourtant l'argument de la création d'emplois ne devrait pas servir à n'importe quoi, à n'importe quel prix, avec n'importe quels dégâts collatéraux.

Sur l'ensemble des comptes-rendus de séance du Conseil de Communauté depuis 2015, nous ne lisons que quelques toutes petites références à ce méga-projet, en général à la fin, dans les « questions diverses ». Il arrive qu'un élu pose une question pertinente et que la réponse soit dérisoire. Par exemple, M. Lagorce demande en juillet 2017 où en est le projet de parc à Chauffaille (dont les élus n'entendent plus parler depuis 2015) et les propos, en réponse, de M. Sudrat et M. Boisserie sont évasifs : ils disent que ça avance plus lentement que prévu, mais que M. Hodiamont est « honnête » et qu'il faut rester « optimiste ». « Il faut y croire, personne ne perd d'argent dans ce dossier » dit M. Boisserie.

En septembre 2017 c'est une question de M. Dupuy qui obtient une réponse déconcertante : M. Sudrat informe que M. Hodiamont, le promoteur, va faire le 21 septembre 2017 une présentation officielle de son projet de parc d'attraction à... Namur (Belgique) et qu'une délégation de la Communauté de Communes de Saint-Yrieix va s'y rendre. M. Dupuy demande « pourquoi cette présentation a lieu à Namur et pas sur le territoire ». M. Sudrat répond que M. Hodiamont fait surtout une présentation à des investisseurs potentiels, il réunit ses actionnaires et « de plus symboliquement c'est important pour lui de le faire là-bas ». Très léger comme argumentaire... M. Dupuy a bien raison d'être intrigué : c'est absurde que des élus doivent se déplacer aux frais du contribuable à l'étranger pour savoir ce qu'il en est d'un projet qui concerne leur territoire. Quant aux habitants, rien, pas le moindre écho de cet événement de septembre 2017, pas de compte-rendu public.

En fait, M. le président Daniel Boisserie, Mme Catherine L'Official adjointe à l'urbanisme et M. Philippe Sudrat maire de Coussac, sont à peu près les seuls à suivre de près le dossier et la plupart des autres élus leur font confiance, ayant eux-mêmes d'autres responsabilités qui les mobilisent. Mais nous pensons que sur un projet pareil, avec une affluence envisagée de plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an, sur une emprise de 26 hectares sur les 47 rendus constructibles, c'est anormal de fonctionner ainsi, le Conseil de Communauté devenant une simple chambre d'entérinement. D'ailleurs, sur la décision de brader le domaine de Chauffaille à 800 000 € contre les 1 500 000 € que proposait le promoteur, M. Boisserie, président de la Communauté de Commune dit dans Le Populaire du 26 septembre 2015 : « Même si je suis persuadé que M. Hodiamont a les reins solides financièrement, je n’ai pas voulu demander plus que 800 000, car je veux absolument que le projet se fasse ici, alors que d’autres régions sont demandeuses. C’est une façon de montrer notre volonté à M. Hodiamont ». « Je n'ai pas voulu, je veux...», on mesure le réflexe démocratique...

Par ailleurs, nous déplorons un déplacement de préoccupation : les responsables se positionnent trop sur un plan affectif. Ils ont eu affaire avant 2015 à des porteurs de projet louches, voire mafieux, or M. Hodiamont se montre affable et honnête. Nous rappelons que là n'est pas le sujet : c'est le projet précis du promoteur qui importe.

Dans ses documents promotionnels pour convaincre les bailleurs de fonds d'investir dans son projet, la SA Dreamgest souligne justement le climat politique local bienveillant et l'absence d'objections populaires : « Le projet est soutenu par tous les niveaux du pouvoir et une grande partie de la population » lit-on sur une page d'un site européen qui médiatise « Les Géants de la musique », ancêtre de Mélofolia, en 2017. Ce site s'appelle « Portail européen des projets d'investissement. Le portail de matchmaking de l’UE ». On comprend bien que la discrétion sur le projet et les démarches en cours soit dans l'intérêt des décideurs publics et privés. Alors bien clairement, nous disons qu'il y a des opposants à ce projet, et que la pitoyable prestation publique organisée par M. Hodiamont en septembre 2019 a fini de les convaincre. C'est bien peu responsable de les prendre à la légère en les qualifiant de « mélophobes » !

Enfin, la délibération du 18 décembre 2020 par laquelle la Communauté de Communes proroge encore une fois la promesse de vente du domaine de Chauffaille à M. Hodiamont prouve que le consensus s'effrite. Cette délibération n'a pas été votée à l'unanimité. Dans les échanges avant le vote, un élu semble bien courageux de dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas : Jean-Claude Dupuy signale que le Conseil n'a aucune preuve que l'acquéreur dispose des fonds pour son projet, pas plus maintenant qu'il y a 6 ans, et que lui, dans ces conditions, est opposé à la prorogation de la promesse de vente. M. Sudrat répond que le promoteur dispose de 2 millions d'euros, qu'il lui en faut 40, qu'il ne les a pas encore, qu'il va persuader des investisseurs dès qu'il aura son « permis d'aménager », qu'il espère avoir ainsi 15 millions d'euros pour en emprunter 25 autres. M. Dupuy répond qu'il n'a vu aucun écrit en ce sens. La suite des échanges retombe sur du flou et du sentimental : on cherche à disqualifier M. Dupuy en l'assimilant aux « opposants au projet » (dans le langage codé de la Communauté de communes, les « opposants au projet » désignent les imbéciles-bornés-anti-tout), on y va de sa croyance (Mme Bonin « tient à préciser qu'elle croit au projet, elle trouve que M. Hodiamont a toujours été transparent »), M. Sudrat affirme qu'il n'y a pas de projet alternatif (et pour cause : le bien étant bloqué par une promesse de vente, quel investisseur perdrait son temps à se faire connaître auprès de la Communauté de communes ?).

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